Dernier jour 12h32

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Associated Press, Centre de Contrôle des Vols de Tycho, aujourd'hui, 12h32. Un vaisseau autonome de transit emportant 14 tonnes de fret a été perdu ce matin au cours d'une manœuvre de changement d'orbite cislunaire. Une panne mineure lors d'un rendez-vous avec un robot d'arrimage survenue hier serait à l'origine d'une collision qui aurait endommagé un réservoir et provoqué la défaillance d'un moteur, entraînant la perte de contrôle fatale. La nature de la cargaison n'a pas été précisée, mais le CCV-Tycho a commenté qu'il ne s'agissait de « rien de vital ». Le vaisseau percutera la surface lunaire dans quatre jours et, toujours d'après le CCV-Tycho : « Il n'y a pas de plan de récupération, le jeu n'en vaut pas la chandelle »

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Daeffers avait crié de rage quand il avait vu le policier tomber sous les balles de DS-6, mais maintenant, il exultait en se frappant sur les cuisses :

— Génial ! Génial ! Ce DS-6 est un génie de l'improvisation, un génie pur et simple, prenez-en de la graine, tous autant que vous êtes ! Ce petit con a réussi à transformer une boulette de première catégorie en coup de génie.

La salle de contrôle resta silencieuse, chacun s'affairait à sa tâche. Les sautes d'humeur de Daeffers étaient aussi soudaines qu'imprévisibles. Nul ne savait sur qui tomberait la suivante. Shrieffer le considéra en restant impassible. Intérieurement, il était affligé. Un policier venait de mourir, quasiment sur l'ordre de Daeffers, puisqu'il avait ordonné à DS-5 et DS-6 de ne se faire prendre à aucun prix... Et Daeffers s'en réjouissait ! Comment pouvait-il faire une chose aussi abjecte ? Comment pouvait-il laisser ainsi se transformer en lui, avec une jouissance aussi évidente, l'énergie qu'il mettait à atteindre son objectif en une pulsion qui mêlait la mort et la joie ?

« Bon, reprit Daeffers avec entrain, et ils sont où, alors, mes deux tourtereaux ? Il y en a un qui va me répondre ou il faut que je botte le cul de quelqu'un ? Shrieffer ?

Shrieffer sursauta.

— Chef ?

— Ils sont où ?

— Chef, comme vous pouvez le voir, nous n'en savons rien.

— Shrieffer, arrêtez vos conneries. J'ai mis vingt, non, pas loin de trente millions de matos sur cette mission, plus deux agents d'élite sur le terrain, chacun doté pour un bon million d'équipement militaire récent, drones, camouflage, armes de guerre indétectable. En plus de ça, vous êtes en prise directe sur tous les réseaux tactiques du théâtre d'opérations, celui des flics, celui des militaires et celui de l'ASI. Vous avez plus de cartes entre vos mains que quiconque. Alors ne me dite pas que vous ne savez pas où ils sont, vous allez me foutre les boules.

Shrieffer soupira intérieurement. Il ne répondit pas. Il fit semblant de se plonger dans la scrutation de son interface avec les IA tactiques. En fait, il connaissait très bien la situation. Il répondit avec réserve :

— Nous pensons qu'ils sont restés dans le quartier, car ils se déplacent à pied et il est virtuellement impossible qu'ils aient franchi l'une des lignes de barrage du quadrillage militaire.

— Sans rire ?

Daeffers était arrivé derrière Shrieffer et il commença à lui masser les épaules. Il avait une force de lutteur dans les mains, et il se mit à masser Shrieffer de plus en plus fort. Shrieffer serra les dents pour ne pas crier sous la douleur.

« Sans rire, répéta Daeffers. Qui se paye ma gueule ? Mon équipe d'élite, ou ces deux petits cons ? Les deux ?

La salle resta silencieuse. Daeffers stoppa son massage-torture.

« Vous allez me les retrouver. Il me les faut, avant le départ de cette putain de navette. C'est clair ?

— C'est très clair, chef.